Au secours, « la rentrée littéraire » revient !

C’est par où la sortie ?

Au secours, la rentrée littéraire revient ! (1) Où voulez-vous que ça se passe, en France bien sûr, qui en a l’exclusivité mondiale. Comme la France est médaille d’or pour le nombre annuel de prix littéraires. Il y en a tellement que personne ne sait au juste combien. Mille, mille cinq cents ?

Dans les gazettes, c’est écrit : la rentrée littéraire est en France l’un des évènements de l’automne, avec « la rentrée des classes, les mouvements sociaux, puis le beaujolais nouveau » (Historia). Y rajouter un zest de dérision : « la scène littéraire française ne rompra jamais avec cette particularité qui, au même titre que l’Arc de Triomphe, la fondue bourguignonne et le confit de canard, est élevée au rang de patrimoine » (Sud- Ouest Dimanche, 24 août)

Les « bêtes à Goncourt », tiens encore un cliché…

Au bout de cette course effrénée, la remise des prix littéraires. L’apothéose.

Mais quoi qu’il advienne, chef d’œuvre ou pas, déboulé ou pas du nouveau Joyce, Proust ou LF Céline, le plus fort tirage de l’année de l’édition en France et dans l’espace francophone, tous genres confondus – 1,8 million d’exemplaires- concerne un album de BD, qui n’est jamais que le douzième (Le Sens de la vie) de ce brillant créateur.  Et avant fin octobre, seront publiées 1402 BD, soit deux fois plus que la production romanesque.

S’il y a rentrée, c’est qu’il y a eu vacances, sauf pour le monde de l’édition et ses porte-flingues (ou porte-avions, porte-bagages, porte-drapeaux ou porte-parole) qui ont reçu chaque jour par coursiers les volumineux paquets des « nouveautés ».

La rentrée (2). « La comparaison est idiote. Pour les élèves, la rentrée siffle le début des épreuves. Pour les critiques, cela veut dire que le boulot est fait. Le plus dur s‘est passé pendant l‘été, c‘est là où ils ont eu à accomplir leur vrai travail, c‘est-à-dire espionner tous les échos publiés par la presse littéraire pour savoir des quels 20 bouquins on va pouvoir parler sans avoir à se taper les 600 autres » (François Reynaert, Nouvel Observateur, p.24, « On en fait des tomes »)

En réalité, la rentrée littéraire, tsunami codifié, programmé et couru d’avance, avec ses dates immuables, commence dans l’indifférence générale le 15 août, devient tarte à la crème début novembre et après écrémage ( !)  finit à l’époque des paquets-cadeaux de fin d’année. Quand on se veut sobre, on se contente de parler d’ « exubérance  saisonnière ». Et très passagère, fulgurante même : « Pensez qu‘à la fin septembre on ne parlera plus que d‘une trentaine de livres. Près de 650 seront passés à la trappe !», souligne tel critique. http://www.challenges.fr/magazine/0133.16033/?xtmc=exubrancesaisonnire&xtcr

Vous avez aimé pendant vos vacances vos livres de l’été, dont vous aviez entendu parler au moment de faire vos bagages, mais que vous n’aviez pas eu le temps de lire, car surbooké, vous allez adorer vos livres de la rentrée 2008, car, paraît-il, « les rentrées littéraires se suivent et ne se ressemblent jamais » !! Sic et resic.  http://www.lire.fr/chronique.asp/idC=52722/idR=142/idG=

Dans la fiche du projet-Edvige, on lit déjà une conclusion : la rentrée 2008 est celle du « roman d’aventures expérimental ».  Donc ni « cucul » ni « cucul la praline » ?

En attendant, la rentrée littéraire c’est une avalanche de papiers (dont celui-ci) sur la rentrée littéraire. Qui répètent à l’envi que cette année, 676 parutions sont annoncées (466 romans français dont 92 premiers romans (combien de label « révélations » ?) et 210 d’auteurs étrangers, dont 109 traduits de l’anglais).  Le chroniqueur Ali Rebeihi (France Inter) a fait un calcul facile : pour tout lire, ce que font probablement les jurés des prix littéraires et les plus consciencieux des critiques, si ça existe, il faut lire 11 livres par jour, pour affronter la rentrée en toute connaissance de cause.

Le confrère François Reynaert est plus précis : «Même en vacances à la montagne, ça n‘aura pas été la mer à boire de les lire tous. Faites le calcul : en deux mois qui, par bonheur, font tous les deux 31 jours, ça ne fait jamais que 10,9 livres par vingt-quatre  heures. Là dedans, c‘est vrai, il y a de gros volumes (malheureusement, c‘est la mode). Mais il y en a aussi de tout petits et même un (« Zone »  de Mathias Enard) qui ne fait qu‘une phrase. Une phrase de 500 pages d‘accord, mais ça n’empêche : pas de point ni de paragraphe, ça fait toujours ça en moins à lire ».
(Lire http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2286/articles/a381784-.html?xtmc=francoisreynaert&xtcr=1)

676. Un peu moins que l’année dernière, 727 au compteur, soit une baisse de 7, 1 %, « un évènement puisqu’on était habitué à l’inflation. 676 est-ce pour autant raisonnable ? » (Libération, 30 juin). Au début des années 80, il y avait environ 180 nouveautés à la rentrée…Et déjà 488 en 1998, avant l’avalanche. Cette année 2008 est marquée aussi par le nombre croissant d’éditeurs, 98 contre 90 l’an passé.

Et pourquoi ne pas dire « que » 676 ? Car les romans auxquels on a échappé se chiffrent par dizaines de milliers, vu qu’autant de manuscrits parviennent jusqu’aux  grandes maisons ou petites, mais plutôt les grandes, mettez vous à la place de l’impétrant. Dans cette maison de la rue des Saints-Pères (à Paris, of course), la directrice chargée des premiers romans en reçoit entre dix et quinze par jours, tout au long de l’année. Or « cinq seulement paraîtront cette année »….

Un chroniqueur très bon acrobate, bouillant, parfois écrivain, mais pas cette année, titre son avant-dernier papier de sa série « Mauvaise foi », mais on n’est pas obligé de le croire : « Brusque changement d’avis à propos de la rentrée littéraire ». Que dit-il ?

Les papiers de nos amis les voraces chroniqueurs ont le même plan de rayonnages: les auteurs têtes de gondole, le rayon des confirmés, des poids lourds, des stars au succès d’ores et déjà assuré, le rayon des inconnus, d’où surgira une pépite, une (ou deux) bonne surprise, les accents étrangers, etc… En y mettant parfois de la poésie : « Des romans à la pelle, comme ces feuilles d’automne qui déferlent à l’étal des libraires ».

Tel magazine culturel distingue « De séduisants débuts romanesques », « Des romans quatre étoiles », « Non merci »et « Et aussi ».

Tel autre magazine, nettement plus littéraire, qui dès son numéro d’été (juillet-août) publiait, c’est logique, « les livres de votre été », mais aussi (3) « la rentrée littéraire en 15 extraits, en avant première, ceux dont, parions-le, on parlera beaucoup. Voici de quoi vous mettre en appétit », sur 45 pages, donc une moyenne de 3 pages par livre, largement suffisant pour se faire une idée, puis passe une vitesse avec (4) son « Spécial rentrée littéraire » (original non ?) sur 24 pages + 30 pages de « Guide de la rentrée littéraire 2008, avec les libraires » (désormais très sollicités) + 20 pages de nouveaux extraits en avant première (5) .

Et ces papiers se terminent invariablement par une phrase du genre : « Les auteurs en lice pour les prix seront, comme il convient, les plus anxieux. Ce suspense, partagé par leurs lecteurs, fait le charme, toujours renouvelé, de la rentrée littéraire »

Autre variante : « L’automne, saison de la jeunesse, saison du renouveau…Il fallait bien la magie des livres et de la littérature pour opérer ce miracle » Ou un peu plus loin : «A chaque rentrée, on les attend avec gourmandise. Cette année, les jeunes écrivains nous réservent encore de bonnes surprises. Classiques ou audacieux, sages ou déjantés, voici les inconnus très prometteurs »…

Mais pour quelques navires amiraux « combien de frêles esquifs lâchés à quelques milliers d‘exemplaires sur la mer agitée de l‘automne ? » http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2286/articles/a381840-.html?xtmc=rentreelitteraire&xtcr=7

Et voilà…La critique littéraire ressemblerait à la (mauvaise) littérature des journaux sportifs, à la veille du Tour de France ou avant la rentrée des matchs de Ligue 1. Il faut doper les ventes.

Et pourquoi ici les « hommes de la rentrée » ? Parce que la rentrée 2008 se décline au féminin pluriel, deux femmes (entre autres) ayant changé de maisons, ce qui suffirait à ce qu’on parle d’elles. L’une est passée de chez F au S, la seconde est passée du S à chez F. Une troisième, dit-on, a changé A.S pour A.M. Comme à la veille du Tour de France ou le début du championnat de foot, on appelle ça désormais le mercato. Des poules aux œufs d’or.

A aucun autre moment de l’année, fleurissent – alors que, elles, les feuilles d’automne tombent – autant d’adjectifs, d’adverbes, d’expressions se voulant imagées. Les auteurs partent pour la course au prix, les chroniqueurs eux font assaut de zèle, de formules qui font mouche, c’est à celui qui trouvera la phrase la plus emphatique, ampoulée. On y trouvera ainsi le plus déclamatoire, enflé, grandiloquent, hyperbolique, pompeux, sentencieux, théâtral. Pour se démarquer du voisin, engagé dans la même galère qu’est ce marronnier journalistique.

Un exemple : « Mélancolie de l’âge mur, éloge de l’amitié, fantasmes hollywoodiens, basses œuvres mitterrandiennes et impossibles rêves de grandeur…Voilà ce qui les obsède, les hommes de la rentrée. Et qu’ils disent tellement bien ». (hebdomadaire  Le P. 21 août, p. 80).

Et ce chroniqueur de service d’écrire : « On l’avoue : pour le titre de cet article, on a hésité ». Suivent sept lignes sur des titres non retenus, au profit du plus « authentique » : un tel (prénom et nom de l’écrivain), nu ». Tout ça pour ça. Et au cas où nous n’aurions pas compris, il précise : « Jamais, jamais, notre saturnien hâlé ne s’est autant offert, mis à nu, écorché. Le connaissions-nous vraiment ? »

Lieux communs, poncifs, comme  « Début septembre est synonyme de rentrée avec son cortège de parutions. Son « cortège »…(Lire, septembre 2008, p. 33), alors qu’on parle quand même de littérature, pas du Salon de l’Agriculture, un de nos salons préférés.

Rien n’y fait, ni la pauvreté du niveau général des romans (français), ni le discrédit sur l’objectivité des récompenses attribuées, ni la marginalisation générale de la littérature, ni « la corruption sentimentale » (Michel Tournier) qui sévit au moment des votes pour les prix, le recul de la lecture, les ventes en baisse, la chute nette du tirage moyen par titre, on en oublie.

La chaîne du livre avance à pas comptés…Mais il n’y aurait pas le feu au lac, affirme-t-on. Pour le moment.

Imaginons le trouble de tout correspondant étranger, anglo-saxon, espagnol, russe, moldave, etc…etc…chargé de « couvrir » cette exception française. Voilà un homme (ou une femme) condamné, depuis de longues années, à rédiger à peu près le même article, vu que l’horizon éditorial français reste égal à lui-même. Peu consciencieux (se), il peut reprendre son papier de 2002, change deux ou trois chiffres, deux ou trois noms d’auteurs, et le tour est joué.  Pas convaincu ? Retrouvez par exemple l’article du New York Times d’Alan Riding, « Tempête de livres sur la France » ou celui publié dans le magazine britannique The Economist, « Le roman français a disparu ». Vous verrez bien. Le premier date de la rentrée 2000, le second de celle de 2005. Pas une ride.

Généralement, n’étant en rien partie prenante dans ce show bien de chez nous, ce sont eux qui en parlent le mieux, et avec dérision et humour, mais posant les vrais questions en termes sobres.

« Ce rituel, s’il répond à d’indispensables stratégies commerciales, montre le dynamisme  de la vie littéraire, ainsi qu’un réel attachement des Français à la littérature », affirme Historia (septembre 2008,n° 741, p. 12-15, « Le livre, une passion française » qui n’hésite pas à préciser : « Un intérêt passionné qui date du début du XVI siècle ».

Ah bon. Pourtant selon un sondage TNS-Sofres, réalisé auprès de 10.000 personnes de plus de 15 ans, c’est pour vous  dire, près de 52 % avaient acheté au moins un livre en 2006…En 2004, ils étaient 54,2 %

Autrement dit, en 2006, 48 % n’ont pas acheté au moins un livre, vous suivez ?  Ils n’en ont acheté aucun.

On pourra toujours se prévaloir des 10,4 % (parmi les 52%) qui ont affirmé en avoir acquis au moins douze…(hors ouvrages scolaires et encyclopédies en fascicules)

L’édition est devenue une industrie avec de véritables enjeux commerciaux. En 2005, quelques dizaines de milliers de titres édités ou réédités ont généré …2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Un livre primé peut renflouer les caisses d’une maison d’édition et lui procurer le bénéfice d’une année. Le marché du livre va bien, dit-on. Le livre se porterait comme un charme…En 2007, près de 486 millions d’exemplaires ont été vendus, soit 3,6 % de plus qu’en 2006…

Mais cela cache le véritable état de santé de l’édition : une santé en trompe-l’œil « Avec +10 % en littérature générale le marché du livre donne l’impression d’aller bien », selon Sophie Martin, d’Ipsos culture. Mais, comme le rappelle Alain Beuve-Méry  (Le Monde des Livres, 29 août, p. 11), les ventes sont concentrées sur une poignée de titres. « Il apparait plus facile et plus efficace de défendre un à trois titres qu’une douzaine d’ouvrages dont bon nombre ne feront qu’un tour rapide sur les tables des libraires, avant de disparaître »

Nous avons dit la rentrée ? Pourtant si on consulte les tableaux «Les meilleures ventes », figurent des auteurs hors Rentrée, comme celui de Millénium, vol.1,  vol.2 et vol.3 (comme rien n’est simple, lisez, édifiant, http://www.lefigaro.fr/livres/2008/09/04/03005-20080904ARTFIG00001-madame-veuve-millenium-.php) ou cette auteure qui a sorti son livre en plein hiver (février 2008) déferlant depuis à plus de 60.000 exemplaires. Une autre auteure avec son Hérisson, prix ou pas, rentrée ou pas, est dans ces tableaux depuis 102 semaines… Pourtant, tel autre magazine, encore un, affirme : « Ceux qui ont par le passé tenté de rester à l‘écart de la course automnale l’ont regretté »….

Il y aurait donc dans « Le Pays de la littérature » (d’accord quand c’est celui de Pierre Lepape) deux mondes, celui des « lettrés » (sic) soit ceux qui écrivent et ceux qui achètent leurs livres dont-on-parle, qui amusent la galerie entre septembre et novembre, et les 48 % qui passent à côté d’un spectacle dont, en plus, TF1 ne parle pas (ou alors en troisième partie de soirée). Lit-on, « jamais une rentrée n’aura vu autant d’émissions littéraires à la TV (6), sans compter les magazines culturels ! » (Le Figaro, 4 septembre). Une illusion, car depuis que le Hun Bernard Pivot est passé, les autres ne font depuis que des châteaux de cartes.    

Il faut tourner la page

C’est dans un magazine littéraire jusqu’ici non cité (qui ne consacre que 30 pages sur 105 à la rentrée littéraire) qu’on trouve –enfin- ce recul sur — au-delà de la rentrée et des prix– sur ce phénomène à part qu’est le livre. Partant d’un principe clair : le livre est menacé.  Les éditeurs peuvent-ils le sauver ? L’Etat est-il le seul recours ?

On est là loin des flonflons du bal littéraire de la rentrée.

Pour Eric Vigne, éditeur chez Gallimard, auteur de « Le Livre et l’Editeur » (Ed. Klincksieck, 180 p. 15 euros), marchandisation, surproduction, excès de communication, rotation rapide sur les rayonnages, fabrication stérilisée des best-sellers, spectre de la numérisation, hyper-concentration  des moyens financiers et éditoriaux, sont quelques unes des menaces qui pèsent sur le, les livres.

Nul dans sa profession n’avait jusqu’ici exposé le problème en ces termes.  Il détaille en cinquante questions les mécanismes de cette «crise» récurrente, définie par des maux extérieurs mais aussi internes, à l’origine de la médiocrité de l’édition en France.

Selon Eric Vigne – qu’il faudrait citer très largement- « il n’y a pas trop de livres, il y a trop de livres ressemblants, pas assez de diversité intellectuelle et matérielle ».

Consulter entre autres: http://www.actualitte.com/actualite/2136-surproduction-litteraire-editeur-livre-actualite.htm

Des Tontons flingueurs ? Ou des Pieds Nickelés ?

Pour ne rien manquer– on ne sait jamais, un succès de ventes est imprévisible–  l’édition avec les mêmes renforts de trompettes, publie l’antidote à sa propre mélancolie, du moins un « antidote », avec de gros guillemets.

Pour faire bonne mesure l’éditeur en question lui-même parle des « Tontons flingueurs de la littérature » qui « sont de retour ». Des cracheurs dans la soupe de la république des lettres, peut-être, mais sont-ils pour autant « drôles et corrosifs » ? Pas sûr.  « Brillants et décapants » ? Non, ce qui n’empêche pas des républicains des lettres de dresser un barrage de boucliers. « Mais si, vous savez bien, les Roux- Combaluzier de la critique-spectacle, contempteurs un brin réactionnaires de la littérature française contemporaine, spécialistes du jugement à l’emporte-pièce, de la citation hors contexte et du pastiche au canon de 75 ». On se défend comme on peut.

Ca étant dit tout le monde n’est pas Julien Gracq avec sa « Littérature à l’estomac ».

Dans ce court pamphlet de 1950, il fait le procès du mercantilisme et de la mondanité qui règnent dans la « République des Lettres », fustigeant la critique, le « vedettariat » des écrivains et les prix littéraires. Au nom de cette honnêteté intellectuelle, il refuse en 1951 le prix Goncourt pour le Rivage des Syrtes (Encarta).

Depuis, quelques pamphlets sur « la littérature sans estomac » (2001), « le cadavre bouge encore » (2003) ou « le désenchantement  de la littérature » (2007) n’ont fait que divertir les fauteuils d’orchestre.

Aux deux questions (récurrentes) « les plumes françaises font-elles encore le poids ?» et « Comment écrire après Proust et Kafka, après Faulkner et Beckett ? » chacun répondra selon son ou ses intérêts. Dans le rayon Essais sur la littérature, on trouvera  de tout : les incurables optimistes, les gais pessimistes, les pessimistes tristes, les amoureux des plumes, pourvu qu’elles soient françaises, les lecteurs assidus d’auteurs étrangers, jusqu’à instaurer l’idée de leur supériorité, les convaincus de la décadence, les acharnés de la modernité, les tenants d’une littérature exigeante, ceux de la consentante, etc…

Certains apprécieront ceci : «Il est impossible d‘évaluer une œuvre sans la situer dans le contexte mondial. Et si on se livre à ce petit exercice, on est bien obligé d‘admettre qu‘il y a un certain creux de la vague dans le roman français aujourd‘hui. Il n‘y a eu au cours des dernières années aucun équivalent d‘un chef-d‘œuvre comme Le Com­plot contre l‘Amérique, de Philip Roth. Aucun roman susceptible de tenir le coup par rapport aux grands Latino-Américains. De même, je ne vois pas qui pourrait rivaliser avec le Turc Orhan Pamuk ou le Hongrois Péter Esterhâzy. Des écrivains qui sont à la fois capables de réinventer des formes et d‘explorer des zones d‘ombré ‚de l‘histoire, ce que les Français ne font pas (…)  Ce qui est en crise, ce n‘est pas toute la littérature, mais la fiction, l‘imagination romanesque » (Guy Scarpetta, essayiste, professeur â l‘université de Reims)

D’autres aimeront ceci : « Les écrivains français d‘aujourd‘hui ne manquent ni d‘ambition ni d‘ampleur de vue. On reproche souvent au roman français d‘être minimaliste et narcissique. Mais lorsqu‘on lit Pascal Quignard… » (Dominique Viart, autre essayiste, autre professeur, mais à l’université de Lille) ou de Philippe Forest, non moins essayiste et professeur à l‘université de Nantes : « ll y a autant d‘écrivains importants aujourd‘hui qu‘hier. Simplement les règles du jeu ont changé: ta vraie littérature est en situation précaire, clandestine, alors que se multiplient des livres construits pour la télévision, le talk-show. »

C’est Dominique Viart qui distingue « littérature exigeante » (qui demande au lecteur de se laisser déconcerter) et « littérature consentante » (qui va dans le sens de ce qu‘il attend, à la façon des productions télévisées). « Ces littératures ne sont en concurrence que pour des questions d‘espace. Dans les médias comme sur !es étals des libraires. Plus la télévision célébrera les livres consentants, ceux conçus par le marketing éditorial pour faire évènement, plus il faudra défendre les autres. Ceux qui résistent au formatage. La valeur de ces œuvres n‘est pas toujours perceptible et les lecteurs se réfugient parfois dans des romans plus académiques ».

Enfin, alors qu’une certaine lassitude nous avait déjà plongé dans un repos mérité, voilà-ti-pas, on vient de l’apprendre, à l’instant, que la rentrée, qui ne fait que commencer on l’aura compris, nous réserve  pour le 8 octobre « un ouvrage mystérieux ». Le « buzz » ! Comme tout buzz (pas encore dans le Petit Robert, mais que fait Alain Rey !), il a pris naissance on ne sait où. Mais tout le monde en parle, alors on en parle aussi, pour être comme tout le monde : informé !

Publié chez Fl. Cet Ouvrage Mystérieux Non Identifié serait écrit à quatre mains (l’éditrice préfère l’expression « à deux voix »). Dont le (premier ?) tirage a été fixé à 100.000 exemplaires. Nom de code : XXX.  « On ne parle que de ça » (Le Figaro, 21 août). Et avec une sortie en blind, à l’aveugle, bien vu, soit sans connaissance ni du titre ni des auteurs. Un coup éditorial majeur ! Chez Fl, « presque personne n’est tenu au courant pour éviter toute fuite. Seuls quelques élus savent ». Nous, non.

Gondolier

Tout ça pourquoi ? Pour faire lire ou pour faire vendre ? Poser la question, c’est y répondre. Mais après tout il arrive qu’un paquet de lessive contienne une bonne lessive. Le mardi 7 octobre au soir et probablement une grande partie de la soirée, les libraires (7) vont connaitre un nouveau branle-bas, un nouveau casse-tête. C’est qu’il faudra caser les XXX et comme l’aura imposé l’éditeur. Encore une gondole à approvisionner, n’est-ce pas gondolier ? Personnage désormais indispensable de la république des lettres.

C’était la rentrée littéraire, le Barnum. Mais selon le proverbe Barnum en septembre, Pilon en décembre (8). Soit un cirque qui n’a pas grand-chose à voir avec la lecture, la passion de lire et celle des livres.

La seule et unique vraie rentrée restera toujours celle des petits (9). « Je serai l’écolier que j’ai été jadis/ (…) A la rentrée, quand c’est la neuve odeur des livres » Francis Jammes (1868-1938,  Elégie seconde)

Notes, maillons, échappées, incises zé tangentes :

(1)-  Qu’écrit le journaliste Pierre-Antoine Delhommais, dans son papier éco de rentrée ?  (Le Monde, 31 août, p.24) « Au secours, le chômage revient. La mécanique est implacable ». Son article commence ainsi : « C’est la bonne nouvelle de la rentrée. D’ici à quelques semaines, le pouvoir d’achat pourrait ne plus être le souci n° 1 des Français. C’est la mauvaise nouvelle de la rentrée : le chômage pourrait  lui ravir cette place ». C’est « la fin de la grande illusion », Delhommais l’écrit en titre.

(2)- Eh oui déjà la rentrée ! Avec son cortège de nouveautés ! Ca foisonne de bons plans, de tendances incontournables, les must have quoi ! De coups de cœur, pour réveiller les envies, pour attaquer la rentrée en connaissance de cause ! Du sac collector de Louis Vuiton au lierre de saphirs de Jaeger-LeCoultre, des parfums noirs omniprésents jusqu’aux couleurs acidulées des maroquiniers de luxe…Non, non, soyons sérieux, parlons de la rentrée pour tous –  pas la sociale elle n’a plus d’organisateurs- pour tous ou presque donc, la rentrée du Jeu des Mille Euros, et pour tous ou presque, puisque en France, au premier semestre 2008, huit téléviseurs sur dix vendus étaient des LCD, eh bien qui dit rentrée dit écran plat encore plus plat…Pendant que vous bronziez les constructeurs en effet ont pensé à vous, préparé, pour la rentrée leur offensive « extraplat ». Chez S.F, 4,44 cm d’épaisseur, chez Sh. 2, 2 cm. Certains ont même vu des prototypes extrafins entre 7 mm, oui millimètres, et 10 mm, soit un cm, chez So. Et en plus une valeur ajoutée. « Nous pouvons associer à nos téléviseurs des contenus, comme les films de James Bond ou le dernier Hancock. C’est un facteur qui nous aidera à devenir n° un ». Dans ces conditions…

Pour tous aussi la rentrée dans les barres chocolatées, lâchement attaquées de toutes parts. Un producteur, généralement appelé « le géant suisse », qui veut relancer sa barre KK, qui s’avachit quelque peu derrière les deux K concurrentes, la Bueno et la Maxi, veut pour sa rentrée, une sortie dans l’espace. Oui !. « N… envoie ses clients dans l’espace », autrement dit fait gagner des voyages spatiaux, histoire de faire décoller sa KK. Décoiffant n’est-ce pas ? Le tirage au sort de rentrée est prévu pour le 31 octobre.

Résumons, vous voulez une rentrée hors du commun, vous achetez (sans forcément la manger… avec ses 220 kilocalories !) une KK, votre pouvoir d’achat vous le permet, vous retenez le code à saisir et vous attendez. Et supposons, vous gagnez, vous serez  transporté jusqu’à Oklahoma City, USA, on vous entraîne pendant 4 jours et on vous place à bord d’une navette RocketPlane XP …Alors une barre KK pour votre rentrée ? Elle est pas belle la rentrée ? Une usine à rêves. Une industrie à rêves. Tenez, on allait oublier : vous savez que le prix du blé a baissé. Le 1er septembre, sur une page entière « Qui baisse les prix ? » Comme « le prix du blé baisse, Panzani baisse ses prix ». « Qui d’autre ? » (C’est pas comme les mecs à la pompe). Panzani, lui, sait poser les bonnes questions pour la rentrée. Ca vous épate ?

(3)- avec, c’est heureux, un dessin de Sempé en couverture (et p. 108)

(4)- avec, c’est également heureux, un dessin de Jul

(5)- Pour les « bijoux », soit des livres d’auteurs américains, le magazine Lire annonce : « Nous les avons mis de côté, pour le mois prochain (octobre). Lire vous offrira un n° spécial consacré à la littérature américaine ». Attendre un mois pour lire de la littérature, c’est long.  A savoir : du 26 au 28 septembre, à Vincennes, se tient un Festival America (Canada, Etats-Unis, Mexique, Antilles, Caraïbes), avec 53 auteurs annoncés (www.festiva-america.com)

(6)-Sur cette rentrée à la TV, pour en parler, on attendra…s’il faut en dire du bien.

(7)- Pour eux, la « rentrée » a commencé …en mai. « Fin mai », pour ce grand libraire de province (2700 m2, 23 tables de rentrée…) où une dizaine de libraires « part en vacances avec un sac à dos plein à craquer » (Le Monde, 29 août) « S’assurer de ne pas avoir commis d’impasse, de ne pas avoir « raté » un auteur, c’est la priorité » (la directrice du développement).  520 millions d‘exemplaires sont envoyés aux librairies chaque année. 20 % de ce volume, c‘est-à-dire 105 millions d‘exemplaires, sont retournés par les libraires aux éditeurs.

Jusqu’au 15 octobre donc, les « livreurs » déverseront par tombereaux leurs précieuses marchandises.   Premier bilan (officiel) des ventes : fin octobre. L’officieux est déjà connu, avant même la mise en place chez les libraires.

(8)- Qui dit barnum en automne, dit cimetière au printemps ou avant. Forcément. Comment ça ? À lire, entre autres,  http://www.lepoint.fr/actualites-litterature/le-grand-cimetiere-des-livres/1038/0/262709

(9)- Qui dit septembre dit vendanges, une autre vraie rentrée, celle du vin, ce qui nous amène à faire une exception pour la rentrée viticole, voire littéraire du (bon) vin… « Le vin était l’emblème d’une France qui conjuguait insouciance et gaieté. Il serait dommage de l’oublier et de laisser d’autres le célébrer à notre place » (Denis Saverot et Benoist Simmat).


AUTEUR:  Michel PORCHERON

Source : proposé par l‘auteur

Article original publié le 16 Septembre 2008

Sur l’auteur

Michel Porcheron est un auteur associé de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cet article est libre de reproduction, à condition d‘en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur et la source.

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